Est-ce finalement la spiritualité qui établit un lien entre les cultures africaines et les cultures de la diaspora africaine par le canal de l'art?
Yemòjá, la diaspora, la foi et Solange
Une résurgence des figures mythologiques du panthéon Yoruba (aussi associées au panthéon vodoun) a déboulé dans la pop culture depuis quelques années. Aperçue dans la série Nola Darling de Spike Lee, un clip de Princess Nokia et très récemment dans un tableau d’Ines Jemni Di Folco aux Magasins Généraux, Yemòjá est plus que jamais vivante.
Mais qui est elle ?
L’étymologie de son nom vient du Yorùbá (Nigeria) : Yemòjá (Yeyé: mère – Omo: fils – Eyá: Poisson), qui signifie littéralement « mère des poissons », elle est la déesse des eaux et la mère de tous et toutes. Elle représente la mère qui tient les humains en son sein à travers la métaphore de l’eau qui encercle la terre de toutes parts.
Comment son nom s’est-il répandu en dehors de l’Afrique où elle trouve son origine?
En 2016, la chanson « brujas » (littéralement « sorcières » en espagnol) de Princess Nokia déboule sur nos écrans avec un clip hypnotisant et propose un apport centré sur les cultures afro-descendantes au débat des « sorcières », l’autonomie spirituelle des femmes, leur traditions mystiques et la remise en question de certains dogmes religieux. La rappeuse new yorkaise utilise ce terme péjoratif employé à l’origine par les colons espagnols pour qualifier ces femmes africaines détentrices de connaissances mystiques pour le détourner et rétablir la vérité sur son héritage spirituel, en tant que portoricaine, qu’elle revendique légué par la culture Yorùbá à travers les femmes de sa famille.
Elle clame « and my ancestors nigerian, my grandmas was brujas » (et mes ancêtres étaient du Nigeria, mes grand-mères étaient des sorcières). Dans le clip du morceau, on retrouve en intro la chanson dédiée à Yemòjá, orisha mère, avec l’imagerie associée.
De quoi donc parle t-elle?
La Santeria est un courant spirituel développé par les populations d’Afrique de l’Ouest déplacées et contraintes à l’esclavage en Amérique du Sud par les colons d’Europe latine. Dissuadés et menacés par la violence de pratiquer leurs cultes selon leurs croyances, ces peuples associèrent à chacune des déités vodoun (ou orishas), des équivalents du symbolisme de la chrétienté. Ce fut un moyen de continuer à se transmettre leur héritage cultuel et spirituel en sécurité. De cette manière, ils et elles démontrèrent également la cohérence entre des croyances à première vue différentes. On retrouve ainsi la transmission de la culture spirituelle originaire de la zone Benin-Togo-Nigeria-Ghana dans la diaspora à Haïti, Porto Rico, Cuba ou le Brésil, notamment.
On nomme la zone Ghana-Togo-Bénin-Nigéria car ces pays, issus de frontières héritées du colonialisme partagent un ensemble de langues, ethnies, patrimoine culturel en commun dispersées à travers ces territoires. Les spiritualités tirant leur origine dans cette zone de l’Afrique subissent à ce jour les restes de ces campagnes de décredibilisation et de diabolisation. En effet, le terme vodou est souvent rattaché dans l’inconscient collectif à des pratiques malsaines, ou barbares et souvent réduit à ses aspects ou manifestations les plus péjoratives.
Ce narratif porte préjudice à ces savoirs qui établissent un lien entre les forces divines et celles de la nature et influence la manière dont sont perçues certaines spiritualités tirant leur origine en Afrique subsaharienne encore aujourd’hui.
Chanteuse béninoise renommée, Angelique Kidjo transmet de manière très imagée cet aspect culturel de son identité à travers ses titres (Goddess of the sea) et fait également référence à la diaspora et le voyage des cultures en reprenant des artistes comme Jimi Hendrix, ou Celia Cruz dans un album qui lui est complètement dédié. Ainsi dans sa reprise de « Vodoo Child », avec un ajout de parole en langue Fon (langue du Benin/Dahomey), elle établit de nouveau cette connexion entre l’héritage monothéiste et l’héritage vaudou : « I’m a voodoo Child, lord knows I’m a voodoo child ».(Je suis une enfant vodou, le seigneur le sait).
Habituée de la construction de narrations initiatiques autour de l’expérience afro-américaine féminine par le récit collectif, Solange répète dans sa chanson « Almeda » la couleur marron à plusieurs reprises tout le long du titre : « brown skin, brown face, brown liquor… » (peau marron, visage marron, liqueur marron…) et dit cette phrase : « black faith, still can’t be washed away, not even in that Florida Water. So pour my drink, sip, sip, sip, sip… » : littéralement « la foi noire n’a toujours pas pu être effacée, pas même dans ces eaux de Floride, donc verse moi un verre, sirote, sirote… »
Il existe un rituel commun à beaucoup de pratiques spirituelles en Afrique subsaharienne qui consiste en verser de l’alcool par terre pour honorer ses ancêtres, partager avec eux le fruit de ce qu’on récolte, ce qu’on boit et leur rendre hommage.
Si cette phrase peut faire référence à la capacité d’autodétermination et de résilience afro-américaine dans un contexte raciste, grâce à la foi, la spiritualité, et le triomphe représenté par un verre qu’on se verse dans le contexte de la fête pour célébrer ses victoires, elle peut aussi faire référence au courage et à la détermination de rester fidèle à son héritage culturel et spirituel malgré les obstacles, la dissuasion, la violence, l’adversité et de continuer à le transmettre. C’est je pense de toute façon un exercice de « double entendre » (double sens) et la phrase est faite pour être comprise ou assimilée de plusieurs manières différentes.
J’interprète pour ma part que « Notre foi n’a pas été effacée, donc verse un verre », sous entend « versons de l’alcool pour nos ancêtres ». Pour rendre hommage à nos ancêtres comme iels avaient l’habitude de le faire avec les leurs.
Références :
Chanson et clip vidéo « Brujas » – Princess Nokia
Série « Nola Darling » – Spike Lee
Chanson « Vodoo Child » – Angelique Kidjo
Album « Celia » – Angelique Kidjo
Album « Orishas » – Celia Cruz, Merceditas Valdes
Chanson « Almeda » – Solange
